Disque ● Vingt-cinq chansons gruériennes parmi les plus belles et les plus connues du répertoire pour choeur d’hommes et choeur mixte sont réunies sur une compilation.
Une ferveur quasi religieuse et un folklore ancré dans la vie pastorale et la mythologie des anciens comtes de Gruyères: les chansons gruériennes font vibrer une profonde corde identitaire chez tout Fribourgeois. Le preneur de son Joseph Rotzetter et la Fondation du château de Gruyères ont réuni les plus belles d’entre elles dans un nouveau disque, «Musiques du pays de Gruyère», publié chez Artlab.
Les 25 chansons du disque sont interprétées a capella par six ensembles vocaux fribourgeois. Une partie des pièces ont été spécialement enregistrées en 2007 et 2008 par la Chanson du pays de Gruyère et la Cantilène: il s’agit de chansons moins connues sur la mythologie du château, comme «Madeleine de Miolans», «Le Page du comte Michel», «Le Conto de Grevire», «Les Chèvres de Gruyères» ou «Jean l’éclopé». «Ces chansons ont beaucoup été chantées dans les années 40-50, mais ne le sont plus du tout aujourd’hui. Elles n’avaient encore jamais été enregistrées», explique Patrice Borcard, historien et président de la commission culturelle de la fondation, qui a accompagné la réalisation du disque.
Pureté du chant
Il a puisé dans ce patrimoine pour illustrer musicalement le spectacle multimédia visible au château depuis l’an dernier. L’idée d’un disque a germé. «Nous voulions revenir à la source, parce que ces chansons méritaient d’être mises en évidence et défendues pour leur qualité musicale», estime Patrice Borcard. Cela même si leurs textes, qui véhiculent l’image d’un Moyen Age idéalisé, ont beaucoup vieilli.
Au contraire des chansons plus universelles, comme «Le vieux Chalet», «A Moléjon», «Nouthra Dona di Moartsè», «La Prière du pâtre» ou «L’Armailli des grands monts». Joseph Rotzetter a remastérisé ces «tubes» toujours chantés aujourd’hui à partir d’enregistrements déjà existants du Choeur des XVI, du Quatuor du Jaquemart, de l’Accroche-Choeur et du choeur des Armaillis de la Gruyère. Les interprètes leur confèrent la sobriété, la clarté et la pureté du chant qui signent la culture vocale fribourgeoise et la qualité de ses choeurs amateurs. Au final, «Le Ranz des vaches» et son harmonie dépouillée résonne comme l’hymne fribourgeois qu’il est devenu, de manière solennelle mais jamais ampoulée. «Il n’existait pas de telle compilation, qui mélange le répertoire pour choeur d’hommes et choeur mixte», justifie Patrice Borcard. «Nous avons fréquemment des demandes pour ces tubes, mais le disque des Armaillis de la Gruyère ne correspondait que partiellement aux demandes.» La compilation intéressera donc bien sûr les Fribourgeois, mais elle est aussi destinée aux visiteurs du château: le disque est déjà disponible à la boutique du lieu et le sera, d’ici quelques jours, dans des grandes surfaces*.
Malheureusement le livret ne publie ni les paroles ni la traduction des textes en patois. Dommage. Car même si ces chansons continuent de nous toucher de manière très directe, disposer des paroles aurait été appréciable. Cependant le livret, avec des photographies en noir et blanc du château réalisées par Yves Eigenmann, est soigné, ce qui fait du disque un magnifique passeport pour ce lieu et cette région, dont les chansons véhiculent les mythes et l’histoire.
*«Musiques du pays de Gruyère», Artlab 08511, disponible à la boutique du château de Gruyères ainsi qu’à la Fnac et Manor.
De l’église au chalet
Dix-neuf chansons (sur 25) sont signées de la main de l’abbé Bovet. Auteur d’une monographie sur l’abbé chantant, Patrice Borcard rappelle qu’il a été «le tronc de l’arbre» dans l’histoire du chant choral fribourgeois. Non qu’il n’y ait pas eu de chants populaires avant lui, mais parce qu’il les a harmonisés, retravaillés, diffusés: il a donné à des mélodies anciennes comme «Le Ranz des vaches» la force de devenir des «tubes». Grâce à l’abbé Bovet et la diffusion de son répertoire via l’école, «les chants gruériens ont été intégrés dans la mémoire collective», analyse l’historien. Pourquoi ses mélodies soulèvent-elles toujours autant d’émotions aujourd’hui? Patrice Borcard: «Joseph Bovet était un prêtre qui connaissait l’histoire du chant grégorien, qui constitue la base de ses couleurs. Les chants profanes, il les a composés à la manière d’un cantique sacré. Il a utilisé un fond pastoral avec des couleurs religieuses, il conjugué le chalet et l’église. Il avait aussi le sens de la mélodie et des harmonies simples.»
Elisabeth Haas