Des Carmina Burana habités

C’est une version habitée des «Carmina Burana» que l’Accroche-Choeur de Jean-Claude Fasel a donnée ce week-end à Fribourg. Une version de chambre ciselée et tendue, parcourue par la ferveur.

Des Carmina Burana, la plus célèbre composition de Carl Orff, le grand public connaît les versions «d’opéra», interprétées par des choeurs imposants et des orchestres électrisés. Une musique à effet, traversée par des orages telluriques

Rien de tel avec la «version de chambre», proposée ce week-end par L’Accroche-Choeur de Fribourg. Le chef Jean-Claude Fasel a fait le choix d’une partition moins souvent jouée, celle pour deux pianos et percussions. Et cette vaste cantate scénique composée dans les années 1930 apparaît soudain plus humaine, presque intimiste par moments. Intelligemment, Fasel n’a pas cherché à copier le modèle symphonique. Il a ciselé une pierre brute de mots, coupé dans un agrégat de sonorités, taillé dans un ostinato rythmique oppressant. En émergent des couleurs et des climats subtils, souvent absents de la version théâtrale. L’oeuvre n’en conserve pas moins toute sa puissance et sa grandeur barbare. Mais elle acquiert sous la baguette inspirée de Fasel un supplément d’âme.

Pour obtenir ce résultat, le chef avait minutieusement préparé ses instruments. Le choeur, d’abord, impeccable de justesse et d’équilibre, privilégiant toujours le texte à la note. Si les registres masculins ont paru moins «stylisés», l’ensemble rayonne dans le choeur initial. Il joue avec le deuxième degré «Dans la taverne» en maniant l’ironie et la parodie. Alors que les enfants de la Maîtrise Saint-Pierreaux-Liens de Bulle apportent un rai de lumière dans l’Amor volant indique. S’appuyant sur cette rythmique nerveuse, l’Accroche-Choeur investit chaque séquence avec ferveur. Il fait montre d’une parfaite technique vocale ah! l’admirable Bibit hera, bibit herus dans les parties électrisées comme dans les plages inspirées du grégorien. Une telle aisance aurait mérité une acoustique plus généreuse que celle de l’aula de l’Université. Sa relative sécheresse servit, par contre, les percussionnistes qui ont offert un remarquable relief à ces pages, sans jamais tomber dans une interprétation trop mécanique.

Le succès de cette interprétation réside aussi dans le talent des deux pianistes Eric Cerantola et Gregor Camenzind dont les jeux font rapidement oublier les sonorités orchestrales. Et si on a apprécié les interventions de Brigitte Fournier et de Paolo Vignoli, c’est Michel Brodard qui tire son épingle du jeu solistique. La basse irradie de présence et de musicalité.

Patrice Borcard