Le «Requiem allemand» avec piano,un Brahms en version noir et blanc

Fribourg · Samedi, l’église du Collège Saint-Michel a vibré aux accords somptueux du «Deutsches Requiem» de Johannes Brahms, dans la version donnée par l’Accroche-Choeur de Fribourg et Jean-Claude Fasel.

Quelle oeuvre! Brahms n’est pourtant pas bien vieux lorsqu’il écrit ce requiem, mais comme d’autres avant lui (Mozart, Schubert), à trente ans, il semble tout connaître de la sagesse, et dialogue avec la Mort dans la sérénité.

Dans un esprit plus proche du piétisme de Bach et de ses passions que du sensationnalisme médiéval (Bosch, Brueghel) l’oratorio qu’interprète l’Accroche-Choeur est un voyage philosophique tout en émotions intérieures. Jean-Claude Fasel accentue la sincérité et la profondeur de l’oeuvre en misant tout sur le texte, ce qu’a voulu Brahms sans doute. De manière frappante, il souligne toutes les intentions, les nuances exacerbées de cette version avec piano.

Les brusques modulations, souvent majeur-mineur, les pianos subits, les mots incisifs marqués d’un forte, la direction naturelle et concentrée de ce jeune chef est intransigeante, attentive autant qu’il est possible à l’équilibre du tout. Le choeur suit la moindre de ses inflexions.

L’effet global n’est pas «scientifique» pour autant, au contraire la présence du choeur est assez passionnée. Accompagné par un orchestre, il faudrait un choeur beaucoup plus grand: dans cette version, l’Accroche-Choeur est parfait, à la fois ample et précis. Bien sûr, comme dans (presque) tous les choeurs, les sopranos se taillent la part du lion. Mais le texte est ainsi bien distinct, et les fortissimos impressionnants («Mort, où est ta victoire?»).

De la première à la dernière mesure, l’orchestre est constamment absent de cette version avec piano! Bien que les pianistes soient deux à conduire avec grand talent un piano immense, grosse cylindrée digne des 24 Heures du Mans, ça ne fait pas le poids. Mais, après tout, ça n’empêche pas l’oeuvre de rayonner jusqu’au dernier banc de l’église.

Soprano radieuse

Quelques impressions subjectives portent à son comble l’émotion de ce long voyage outre-tombe: l’assurance expressive et la beauté du timbre de baryton de Michel Brodard, le tableau saisissant et fugué du deuxième mouvement («l’allégresse et la joie les envahiront, la tristesse et les plaintes fuiront»), la phrase de lied schubertien des ténors dans le dernier fugato, mais surtout l’intervention lumineuse de la soprano Barbara Locher.

Philippe Mottet-Rio