Le saint salue le chanoine

Un monde fou à l’occasion de cette Saint-Nicolas bulloise, qui marquait également le début des célébrations du cinquantième anniversaire de l’abbé Bovet. Un concert de belle qualité, original dans ses choix, a lancé la fête. Et Saint-Nicolas est venu rappeler les mérites du musicien.

C’est à chaque manifestation le même scénario ! L’église de Bulle a été prise d’assaut, dimanche après-midi, lors du concert inaugural de l’année Bovet. Tribunes bondées, choeur occupé, allées envahies : de mémoire de jeune sacristain, on n’avait jamais vu ça ! Que venaient chercher ces 1300 personnes agglutinées dans cet édifice trop petit ? Des odeurs de Noël, des mélodies connues, des souvenirs musicaux ? Un certain goût de l’enfance probablement.

Le grand Saint-Nicolas, venu saluer la foule, n’était pas étranger à l’ambiance particulière de ce concert. Accompagné de sa cohorte de Flonflons, il a rappelé les mérites de Joseph Bovet, ce musicien dont la capacité de rassemblement ne semble pas éteinte. Plusieurs notabilités avaient d’ailleurs répondu à l’invitation, parmi lesquelles le conseiller fédéral Joseph Deiss.

Les noëls de Bovet ont la saveur des « biscômes au miel du paradis », pour reprendre la formule chère à l’évêque de Myre. Ils possèdent cette naïveté qui caresse les coeurs, cette poésie naturelle qui touche à l’universel. Les enfants de La Voix du Gibloux, dirigés par Jocelyne Vonlanthen, se sont glissés avec habileté dans ces mélodies de sucre d’orge. Les petits chanteurs ont rendu toute la délicatesse de La berceuse des vieux bergers, la fragilité des Bergers, la tendresse éthérée des Pastoureaux. De voix bien posées, une musicalité généreuse, et le miracle qui opère, dans une mise en scène, sobre, de ce mystère de la Nativité.

Une écriture recherchée

Avec le groupe Mon Pays, que dirige Pierre-André Bugnard, on entrait dans un répertoire plus travaillé, sur ces poèmes de Maurice Zermatten aux résonances bien datées. L’écriture musicale est souvent recherchée : c’est le cas de l’Etoile de Noël, où voix masculines et féminines font dans la dentelle, et de Noël, où une superbe mélodie emmène l’auditeur au coeur de la « nuit du miracle ».

Admirable de cohésion, de justesse et de musicalité, L’Accroche-Choeur, de Fribourg, a fait forte impression dans le panorama qu’il a dessiné de ces noëls bovétiens. Le chef Jean-Claude Fasel ne s’est pas contenté de soigner la forme, il a réussi à restituer la vérité intérieure de ces pages. Contrairement aux apparences, ces partitions de Bovet ne sont pas d’une interprétation aisée. Leur facture harmonique souvent simple exige une impeccable transparence, leur ligne mélodique appelle un vrai sens du phrasé.

Jean-Claude Fasel a su toucher le coeur vibrant de ces musiques. C’est particulièrement le cas avec cette admirable Chanson de l’Alpe, une pierre finement ciselée, dont les chanteurs ont éclairé toutes les faces avec sensibilité. Même les « tubes » comme Pê vê la miné, Aux pâtres solitaires ou nuit brillante sonnent avec justesse, dépouillés de tout leur apparat festif.

L’intérêt de ce concert bullois résidait également dans la « renaissance » de compositions moins connues ou complètement oubliées. L’Accroche-Choeur a sorti du purgatoire le Cantique de Noël, aux teintes assez tristes, le Pourquoi sommeiller, à la ligne transparente ou le Tsalandè, que le ténor Olivier Despont a rendu dans toute sa noblesse. Etonnante composition encore que ce Noël de Grandvillard, tiré du festival composé en 1935 pour ce village, et qui, dans sa structure plus complexe et ses harmonies plus riches, témoigne d’un autre Bovet, compositeur à la recherche d’un style plus classique.

La nuit s’était déjà installée lorsque la foule retrouva les rues de la ville pour rejoindre Saint-Nicolas. Sur l’esplanade du château, à la lumière des projecteurs, la magie jouait quelques instants encore les prolongations.

Patrice Borcard