Deux oeuvres témoignent de deux sensibilités au sacré

L’Accroche-Choeur de J.-Cl. Fasel force l’admiration dans Liszt. Il est très méritant dans Duruflé.

Le concert de musique sacrée que proposait, vendredi soir à l’église de Guin, L’Accroche-Choeur dirigé par Jean-Claude Fasel était, pour une part, très circonstancié. La méditation Via Crucis de Franz Liszt présentée en première partie de programme correspondait on ne peut mieux à la période du carême. Certes, le Requiem opus 9 de Maurice Duruflé, deuxième oeuvre du programme, s’en éloignait quelque peu. Plus difficile, celle-ci a d’ailleurs présenté quelques légères faiblesses vocales. Mais dans Liszt, l’Accroche-Choeur a vraiment pleinement convaincu.

L’Accroche-Choeur restitue bien le large souffle ponctué de nombreux instants de silence de l’oeuvre. L’interprétation respecte donc bien le caractère saint-sulpicien de l’oeuvre. Les mélodies  » grégorianisées  » imparties aux voix d’hommes y sont très simplement mais justement accentuées, chantées de plus dans un fort beau timbre légèrement émacié, tandis que les voix de dames sont bien posées, doucement colorées et ferventes. Ces voix contrastent souvent en des effets dramatiques maîtrisés lors des scènes des chutes successives de Jésus. Par deux fois, les grands chorals luthériens surgissant aux quatre voix mixtes sont aussi empreints d’une remarquable expressivité.

Sans l’orgue, le Via Crucis ne pourrait exister. Le très bel instrument Ayer de l’église de Guin, tenu avec une constante autorité par Erwin Messmer, brosse avec tempérament les climats préliminaires des quatorze stations, accompagne, illustre à lui seul plusieurs scènes comme Jésus rencontre sa sainte mère (par des jeux flûtés d’une grande douceur), Simon de Cyrène aide Jésus à porter sa croix (des martèlements sourds d’accords) ou Jésus est dépouillé de ses vêtements (des mélismes en spirale). A cela s’ajoute les interventions du baryton Nicolas Pernet, voix du Christ légèrement gutturale, esseulée, mélopées poignantes sur l’intervalle du triton, que le chanteur transmet dans des inflexions marquées d’authenticité.

L’étrangeté apparente du Via Crucis de Liszt se dissipe après l’avoir attentivement écouté. Par cette méditation sur le chemin de croix du Christ, on découvre alors le génie spécifique du compositeur, génie entièrement au service de la grande douleur contenue dans le drame liturgique. Mais avec Liszt, cette douleur trouve un salut salvateur: dans le silence sanctificateur. C’est là toute la grandeur du Via Crucis.

BERCE PAR LES VAGUES

L’orgue d’Erwin Messmer nous transporte avec bonheur, par la suite, sur les vagues en arpèges du Requiem de Maurice Duruflé. Comme dans l’oeuvre de Liszt, les voix d’hommes qui apparaissent sur le Requiem aeternam sont empreintes de ferveur dans les mélodies grégoriennes dont s’inspire abondamment la partition. L’apparition des voix de dames dans le Kyrie, transforme le monologue primitif en dialogues fort bien conduits. Jean-Claude Fasel se soucie de muscler légèrement les lignes de la partition pour leur conserver un caractère musical moderne (l’oeuvre date de 1947). C’est ainsi qu’il interprète avec une certaine vigueur la première partie du Domine Jesu Christe, mais les voix, notamment de dames, montrent ici certaines limites dans le haut de la tessiture (voix parfois un peu criées). Ces imperfections ne sont que passagères. En effet, l’Agnus Dei et ses entrées en mouvements canoniques est remarquable, le Libera me sur sa construction A-B-A est tout de juste équilibre, l’In Paradisum final conclut sur un merveilleux ravissement une oeuvre qui, selon son compositeur, n’a de buts que d’affermir le sentiment de l’espérance en la résurrection.

Les deux solistes du Requiem de Duruflé savent conquérir l’auditoire. Nicolas Pernet est à l’aise de sa voix argentée dans l’air de l’Hostias. Et Brigitte Ravenel, mezzo-soprano, réalise fort bien les légers contrastes des chants tantôt séraphiques, tantôt légèrement dramatiques du Pie Jesus.

Après avoir interprété avec succès le Via Crucis de Liszt et le Requiem de Duruflé, l’Accroche-Choeur de Fribourg peut donc s’atteler à d’autres grandes partitions du répertoire sacré. Dans l’oeuvre de Liszt, le choeur s’approche en vérité d’une gratifiante perfection grâce à ses qualités vocales transcendées par des talents musicaux.

Bernard Sansonnens